Parler d’addictions avec un ado, ce n’est jamais évident. Entre le besoin d’expérimenter, l’influence des amis et la sensation d’être invincible, les risques ne leur semblent pas toujours concrets. Plutôt que d’interdire en bloc, l’objectif est d’ouvrir une discussion, de les amener à réfléchir par eux-mêmes.
J’interviens souvent dans des établissements scolaires, des universités, Sciences Po, ou encore dans des formations destinées aux étudiants du secteur social. Ce qui me permet d’échanger avec des professionnels de santé, des enseignants, des éducateurs spécialisés, et même avec des jeunes envoyés en formation après une condamnation. Tout ça m’a appris une chose : ce qui marche, ce n’est pas d’asséner des vérités, mais de trouver la bonne approche pour chaque ado.
Une chose qui me marque souvent quand j’interviens dans les lycées, c’est la réaction des profs. Ils écoutent avec attention, mais ce n’est pas seulement pour les élèves. Ils revoient leur propre adolescence, réalisent parfois les risques qu’ils ont pris sans en avoir conscience à l’époque. Et surtout, ils comprennent qu’ils manquent de clés pour aborder ce sujet avec leurs élèves. Beaucoup me disent qu’ils ne savent pas comment conseiller les ados, parce qu’eux-mêmes n’ont jamais été formés à ça.
Aborder les addictions avec des adolescents, qu’il s’agisse de substances (alcool, drogues) ou de comportements (jeux vidéo, réseaux sociaux, alimentation), nécessite une approche plus nuancée. Interdire ou dissuader radicalement est souvent inefficace, car cette période de leur vie est marquée par l’exploration et l’expérimentation. Il est donc essentiel d’adopter une approche de réduction des risques, en les accompagnant avec bienveillance pour les aider à comprendre et à gérer leurs comportements, tout en limitant les conséquences négatives.
Il ne s’agit pas de banaliser leurs comportements avec des phrases comme « On est tous passés par là », mais d’ouvrir un dialogue authentique. En tant qu’adultes, anciens addicts ou simplement témoins des dangers liés aux addictions, nous pouvons être tentés d’imposer nos décisions. Pourtant, il ne s’agit pas de dramatiser ou de moraliser, mais de parler avec exactitude et conviction.
Dire les choses de manière factuelle, sans détour, peut faire la différence. Les adolescents doivent entendre que les conséquences peuvent être immédiates et irréversibles. Il est essentiel de leur fournir des informations concrètes sur les risques qui les concernent directement :
Ces aspects leur parlent davantage que les considérations sur la santé à long terme, qui peuvent leur sembler abstraites.
Cette attitude ne signifie pas un désintérêt pour les conséquences futures, mais reflète une réalité propre à cet âge : la recherche de sensations et l’acceptation par le groupe prennent souvent le dessus sur la réflexion rationnelle. Les adolescents en 2025 ne sont pas ceux des générations précédentes. Ils évoluent dans un monde où les pressions sociales, la quête d’identité et l’immédiateté influencent leurs comportements bien plus que la simple volonté de transgression. Ce n’est pas une question d’irresponsabilité, mais une réponse à leur environnement : des écrans omniprésents, des normes sociales fluctuantes et une hyperconnexion constante.
Leur rapport au dialogue diffère également. Ce que les adultes perçoivent comme un simple partage d’expérience peut être vu par un adolescent comme un jugement ou une restriction. Ce décalage crée souvent des oppositions.
Quand on parle d’addictions, l’ado doit sentir qu’il peut discuter sans crainte d’être jugé. La posture qu’on adopte change tout. L’idée n’est pas d’être son pote, mais d’être un adulte qui écoute vraiment.
Parler de son vécu doit l’aider à se sentir moins seul.
"Quand j’étais plus jeune, il m’est arrivé de faire des choix juste pour être accepté. Ça n’était pas forcément une bonne idée. Mais sur le moment, je ne savais pas quoi faire. Ça te parle ? " Attention : Ne monopolisez pas la discussion avec vos propres histoires. L’idée étant d’ouvrir le dialogue.
Les questions fermées et centrées sur l’adolescent ferment la discussion.
Plutôt que de dire
"Tu bois en soirée ?", "Tu consommes des drogues ?"
Une entrée par l’environnement, et pas l’individu, lui permet de réfléchir et de ne pas se sentir visé.
"J’ai entendu pas mal de choses sur ce qui circule en ce moment dans les soirées, tu as déjà vu ça ?"
"Il y a beaucoup de discussions sur les réseaux à propos de nouvelles substances. Tu en penses quoi ?"
Se servir de sa position d’adulte curieux du monde actuel pour inviter à partager un point de vue, plutôt qu’une tentative de contrôler ou d’évaluer son comportement.
Puis, resserrer naturellement
"Et dans ton groupe, il y en a qui consomment ?"
Parfois, on s’inquiète pour de bonnes raisons, mais accuser ne sert à rien.
Ces questions permettent de tâter le terrain sans brusquer. L’idée c’est d’avoir une discussion, pas un interrogatoire. Il n’est pas nécessaire ni souhaitable de vouloir une réponse immédiate, mais plutôt de lui faire sentir que la porte en ouverte.
Les ados lancent souvent des phrases en guise de test : “Mais tout le monde le fait ”. Ce n’est pas un mur, c’est une perche. Si on réagit trop fort, ils se ferment. Si on relance calmement, ils réfléchissent.
- Lui : "C’est juste une soirée, y’a rien de grave."
- Vous : "D’accord, pour toi c’est juste une manière de te détendre avec tes amis. Est-ce que ça t’arrive souvent ?"
L’idée, c’est d’amener l’ado à décortiquer lui-même ce qu’il pense, plutôt que de le contredire frontalement.
Reformuler c’est montrer qu’on a compris, qu’on l’écoute vraiment, et ça l’aide à avancer dans sa propre réflexion.
- Lui : "Ouais mais bon, tout le monde essaie au moins une fois, c’est pas un truc de ouf"
- Vous : "Donc pour toi, c’est normal d’essayer. Qu’est ce qui fait que certains continuent et d’autres non, tu penses ?"
Les discours sur les dangers "dans 10 ans" ne les touchent pas. Parler des conséquences immédiates est plus efficace :
Le cerveau de l’adolescent est câblé pour privilégier l’instant présent. Leur capacité à se projeter dans le futur est encore en construction.
"Peu importe le moment, si tu veux en reparler ou si quelque te tracasse, je serai toujours là pour t’écouter"
"Même si tu penses que ça peut être gênant ou que je ne comprendrai pas, je préfère toujours que tu viennes me voir"
"Peu importe ce que tu me dis, je suis là pour toi"
Si l’adolescent se confie sur des comportements ou des émotions qui dépassent vos compétences, orientez le vers un professionnel tout en le soutenant et en l’accompagnant dans ses démarches
Parler d’addictions avec un ado, ce n’est pas lui faire une conférence. C’est poser des questions, être disponible, et surtout ne pas chercher à tout régler en une seule discussion. L’important, c’est qu’il sache qu’on est là, sans jugement, et qu’il peut revenir quand il en a besoin.